n quatrième épisode de Mission : Impossible… quelle idée me direz-vous ? Et vous aurez bien raison. Franchise qui s’est pourtant bien essoufflée (troisième épisode laborieux), un Tom Cruise qui reste sur un échec cuisant (Night and Day) tout en considérant que sa carrière sent elle-même le souffre depuis un moment. Bon, les premiers échos faisaient état que ce Protocole Fantôme serait le meilleur de la série. Rumeur suffisante pour aller au cinéma et se faire un bon vieux blockbuster pour les fêtes de fin d’année.

          La première partie du film nous montre à quoi ressemble enfin la version moderne de la série culte portée sur grand écran. Entre le premier qui fait une sacrée entorse à la série,  le second version John Woo qui est un bon film d’action mais pas vraiment en phase avec l’esprit originel  et le troisième réalisé façon grande publicité, on ne croyait plus trop à retrouver ce qui  en faisait les éléments de base : une équipe charismatique, une mission qui s’annonce évidemment pas très simple mais des gadgets très pratiques pour arriver à tout résoudre.

          La première moitié du film donc, correspond enfin à la version première de la série. Paula Patton et Simon Pegg constituent l’équipe de départ autour d’Ethan Hunt. La madame apporte une touché plutôt sexy dans l’équipe tandis que le monsieur vu entre autre dans Shaun of the Dead apporte une touche humoristique. L’ingéniosité pour réussir une mission d’infiltration qui faisait partie intégrante de la série pointe le bout de son nez (ah cette remarquable scène de l’écran) et les scènes d’action ne font pas mauvaise figure : la vertigineuse scène d’escalade du building est totalement réussie.

          Malheureusement le film retombe dans ses travers dans la deuxième partie. Course poursuite sans intérêt, Tom Cruise est le plus beau/fort/incassable, Dubaï c’est vraiment le plus bel endroit du monde en fait…Sans parler de cette fin lourde et insignifiante. Sans trop en demander le film se laisse remarquer mais bon un cinquième épisode sera vraiment dispensable cette fois.

Mission : Impossible, le protocole fantôme de Brad Bird
Paramount Pictures
Sortie le 14 décembre 2011
http://www.paramount.com/

vec plus de 13 millions de spectateurs après une semaine d’exploitation, Intouchables truste le titre de succès annuel au box office. En général, ce titre traduit un film populaire et un bilan positif pour l’économie du cinéma français. La question de savoir ce qui a suscité un tel engouement reste légitime : pourquoi un tel succès ?

Le sujet : un aristocrate tétraplégique choisit comme aide à domicile un jeune de banlieue tout juste sorti de prison, aurait pu créer des réticences au niveau du grand public. Sans sortir la phrase clichée genre c’est le type de film « qui fait du bien », il faut reconnaître que le ton donné pour un sujet pas évident est juste. Inspirée d’une histoire réelle, l’idée du film a du être peaufinée pour gagner en sensibilité et rendre la relation entre François Cluzet(Philippe)/Omar Sy (Driss) réussie. Parce que la gêne de l’handicap est brisée dès le début par les vannes que se lancent les protagonistes (il fallait oser sortir la blague du « pas de bras, pas de chocolat »). Parce que l’amitié qui s’installe entre Driss qui sert de grand frère et Philippe qui redonne confiance et met devant ses responsabilités celui qui représente physiquement ses bras et ses jambes est grandissante jusqu’à devenir « intouchable ». Parce que le pragmatisme de Philippe face à sa nouvelle vie et l’humour de Driss renforcent leur sympathie. Parce que le regard sur la banlieue caractérisée par de plusieurs plans silencieux en disent plus que dix journaux télévisés sur TF1…

On n’évitera pas certains clichés ou raccourcis comme la scène d’embauche de Driss, un peu trop « facile » ou la famille africaine avec un nombre d’enfants à n’en plus finir. Ni quelques scènes inutiles comme celles du tableau mais qui ne font pas pour autant baisser le rythme du film. Si Bienvenu chez les Ch’tis précédant exemple de gros carton du cinéma français avait été essentiellement porté par un engouement venu du Nord, Intouchables se sera fait sa place par un bouche à oreille qui se poursuit et qui est mérité.

Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache
Gaumont
Sortie le 2 novembre 2011
http://www.gaumont.com/fr/

 l’heure actuelle, le rock ne bénéficie d’aucun réel mouvement comme ont pu l’être le grunge ou la britpop dans les 90’s. Les groupes ne revendiquent plus grand-chose, les contrats avec les maisons de disque restreignent la créativité et la liberté artistique. Les thèmes qui prédominent caractérisent des albums essentiellement  larmoyants ou des albums qui tentent de se montrer un brin excitants.

          Les Blacks Keys se situent bien évidemment dans la deuxième catégorie et un an après Brothers, les deux acolytes (Dan Auerbach à la guitare et Patrick Carney à la batterie) du duo formé en 2002 sortent  un brûlot Rock qui réchaufferait la cheminée de n’importe quelle grand-mère pour les fêtes. Si les premiers efforts étaient caractérisés par un blues assez lourd, El Camino montre des  aspérités plus pop, une rythmique qui prend le dessus, des effets multiples… En témoignent le premier single imparable Lonely Boy et son clip dansant. Little Black Submarines tourne du côté des White Stripes sur la partie des grosses guitares et le côté où une nouvelle idée apparaît toute les 30 secondes et avec une batterie plus efficace (Meg White…). Dead and Gone bénéficie même de clap hand tandis que les synthés sur Gold On The Ceiling accentuent la dimension pop de l’album qui est aussi le plus rapide sorti par le groupe et changement flagrant avec par exemple la production de Danger Mouse sur l’album Attack & Release publié en 2008.

          Seule la fin perd en intensité : Stop Stop est certes un peu dansant mais Nova Baby et Mind Eraser concluent un peu plus mollement l’album. Sans révolutionner quoique ce soit,  cet album fourni un rock dense qui met en forme et permet de finir l’année sur un bon rythme.

elcamino_album.jpgThe Black Keys – El Camino
Nonesuch Variete
décembre 2011
http://www.theblackkeys.com/

ans un monde où les antagonistes suivent les plus stricts codes moraux, et où les protagonistes cherchent à définir les limites du juste, cette morale et cette justice, leurs valeurs et contradictions profondes seront incarnées par le plus charismatique et insaisissable anti-héros de la télévision : Omar. Truand et dissident des grands pontes qui régissent le Baltimore de The Wire (Sur Écoute), gangster homosexuel, terrifiant et intransigeant, Omar Little braque les dealers de drogue, et en fait sa profession de foi. Michael K. Williams attire l’écran, par sa prestance, son physique fascinant et sa balafre en plein milieu du visage, et a fait d’Omar, par quelques caractéristiques d’artifices (un fusil, le sifflement d’« un fermier dans son pré » et un usage captivant de la langue), une icône anarchiste et néo-révolutionnaire.

Avec The Wire, David Simon a créé un univers tangible, aux allures concrètes tant par ses structures (la ville de Baltimore, la scène politico-économique, les ghettos) que par ses personnages, chacun comprenant l’éthique et les codes de leurs milieux respectifs, mais aux aléas moraux plus qu’incertains, et paradoxalement, renforçant le réalisme des situations décrites. Tous respectent le code de la rue, tandis que les policiers transgressent l’autorité (Jimmy McNulty et Lester Freamon, pour ne citer qu’eux) et que les bandits rêvent à une autre vie (Stringer Bell ou le martyr D’Angelo Barksdale). A la différence de la grande tradition des séries d’enquêtes US (CSI (Les Experts), NYPD Blue (New York Police Blues), Law & Order (New York Police Judiciaire)), souvent manichéennes,  The Wire verse dans la profondeur, aussi bien sociétale qu’humaine.

La moralité et la réalité sont ainsi les clefs de The Wire, et seront constamment soumises à contribution, délimitations volatiles d’un milieu symbolique souvent impalpable. Seul Omar en incarne la constante sans réserve ; il maintient une déontologie qui va à l’encontre du monde dans lequel il vit, et refuse tout compromis. Il y a dans le personnage d’Omar cette dimension mystique d’une personnification-même de la vertu, peu importe le terreau. Omar est ainsi à la fois intelligent et féroce, vif d’esprit et psychopathe. Mais sa nature, jamais complètement perceptible, et sa présence fondamentale, en font l’allégorie d’une morale s’immisçant dans l’âme de The Wire.

Omar est une incarnation de la figure folklorique du trickster ; un élément de chaos, un rebelle qui à la fois détruit et régit le système social dans lequel il évolue, symbole ultime de la versalité de la société et de sa continuité. Omar se faufile, s’introduit, surgissant de l’aube et professant ses propres lois, dictant sa propre vision à un monde rigide et sans issue. A l’instar de The Wire, la plus brillante et lucide série de cette décennie, Omar disparaitra comme il nous est apparu : comme une comète en pleine nuit noire.

The Wire (Sur Écoute) 
Créée par David Simon
Diffusée sur HBO (2002-2008)

a tournée de Noel Gallagher accompagné des High Flying Birds se devait ou presque de passer par Paris après l’incident Rock en Seine datant de 2009. Histoire de ne pas faire les choses à moitié, Noel Gallagher a programmé deux dates : celle-ci au Casino de Paris et une autre au Grand Rex en mars. Neuf mois auparavant c’est son frère Liam et son nouveau groupe Beady Eye qui dégainaient les premiers en investissant la scène du Casino de Paris. Etrangement, Noel y présente également son premier album post-Oasis, le bien nommé Noel Gallagher’s High Flying Birds.

          Comme à son habitude, la setlist ne change pas ou très peu d’un concert à l’autre, on savait donc d’avance que son album y serait joué en quasi-intégralité avec une dizaine de titres d’Oasis. Ce qui n’a rien de particulièrement étonnant vu que Noel chantait déjà régulièrement en période oasissienne que ce  soit au côté de son frère soit en tournée solo acoustique (2006).

          On craignait un peu les précédentes déclarations du mancunien lorsqu’il faisait preuve d’une relative modestie à l’idée d’être au premier plan face au public et surtout de se retrouver à la place de son frère. S’il n’a pas l’image de bête de scène de  son frangin ni son charisme, le plaisir de la scène accompagné d’un enthousiasme certain pour son retour à Paris étaient bien visibles et le groupe est désormais rodé après plusieurs concerts  effectués depuis octobre. Une vanne sur Coldplay, des anglais qui feraient mieux de rester chez eux, une explication sur le fait qu’il est le mieux placé pour choisir la setlist car il sait ce qui est bon pour le public, des blagues avec les autres musiciens, des sourires amusés,  Noel Gallagher reste finalement fidèle à lui-même en conservant son humour teinté d’une légère touche de provocation.

          Malgré plusieurs défauts (batteur au jeu un peu trop brutal, micro pas toujours assez haut, plus de solo de la part de Noel, morceaux joués trop rapidement), l’ensemble tient largement la route. L’album étant de bonnes qualité, la différence entre anciens et nouveaux morceaux ne choque pas tant que cela : « The Death Of You And Me » et « If I Had a Gun » sont déjà repris en cœur par le public et si on s’ennuie un peu sur « The Good Rebel » ou « What A Life ! », «  Wonderwall » façon Ryan Adams pour une des plus belles versions jamais joué ou « Talk Tonight » version pop remettent vite d’aplomb.  Les renforts vocaux du bassiste sur des aigus finalement pas si facile à gérer pour Noel ou un clavier particulièrement inspiré sur « Supersonic » contribuent au bon déroulement du concert (1h30) qui passera au final assez vite. D’ailleurs mention spéciale à cette sublime version acoustique de « Supersonic », l’un des titres les plus associés à Oasis et donc à la voix de Liam et qui aurait très facilement pu tourner à la soupe. Noel Gallagher maîtrise toujours autant l’art du recyclage et tant mieux.  Rappel de feu avec un enchaînement « Little By Little » (si si !)/ « The Importance Of Being Idle»/«Don’t Look Back In Anger» choisis pour terminer royalement le concert. Il s’agira sûrement d’être plus critique dans quatre mois une fois cette première attente et l’enthousiasme général retombés mais on a quand même bien hâte.

fuckbuttons_album.jpgNoel Gallagher High Flying Birds – Casino de Paris
6 décembre 2011
http://www.noelgallagher.com

ndrew Niccol fait son retour à la réalisation cinq ans après le très bon Lord of War. Film d’anticipation, il imagine un futur assez proche, métaphore du capitalisme actuel mais aussi de la course à la jeunesse éternelle. Niccol pose les bases d’un monde découpés en plusieurs zones différenciées par le niveau de richesse de ses occupants. Or la monnaie ici c’est le temps. Les humains ont été modifiés génétiquement pour ne vivre que jusqu’à 25 ans, façon pour le moins radicale de réguler la surpopulation. Pour prolonger son espérance de vie, il faut payer. Les pauvres vivent donc au jour le jour voire à la minute tandis que les riches peuvent aspirer à la vie éternelle au presque. Les corps s’entassent dans les zones dites de « ghetto »  alors que les plus favorisés se reconnaissent par le nombre de garde du corps qui les entourent afin d’éviter le moindre petit accident susceptible de les priver de leur précieuse richesse de temps. Et avec ce système, les écarts de classe s’accentuent, comme dans notre société actuelle finalement.

          Si le pitch démarre sur de bonnes bases, Niccol n’arrive pas à creuser le sujet plus d’une demi heure. La suite du film tourne en effet à la course poursuite à la sauce Bonnie and Clyde avec une touche de Robin des Bois moderne. Justin Timberlake et Amanda Seyfried n’ont pas vraiment le charisme de Faye Dunaway et Warren Beatty. Les scènes d’action frisent le ridicule et on ne s’attardera pas sur les incohérences qui jalonnent le film. Les vilains gangsters sappés en Prada et les policiers en manteau en cuir type Matrix pourtant interdits depuis les années 2000 n’aident pas à la crédibilité. Dommage car on se rêvait à un film du niveau de Bienvenu à Gattaca, plus subtile et moins hollywoodien que n’est Time Out.

Time Out de Andrew Niccol
20th Century Fox
Sortie le 23 novembre 2011
http://www.intimemovie.com/

la fin des années 90, l’humour réaliste et de situation à la française fait profil bas. La sectorisation des genres et l’avènement de la génération Canal + pendant plus de dix ans ont ainsi vu l’hégémonie d’un comique créatif, fantasque et résolument absurde. L’humour estampillé des Nuls, de De Caunes et Garcia ou des Guignols, sera donc la nouvelle norme et référence d’une nouvelle vague de comiques, en opposition aux comiques dits classiques (la génération de La Classe avec Jean-Marie Bigard, Pierre Palmade, et Muriel Robin), et fait place à un humour alternatif : la « Dream Team » de H avec Jamel, Eric et Ramzy ; les Robins des Bois ; Kad et Olivier…

En 1999, sort la première saison d’Un Gars Une Fille, adaptée d’une création québécoise de Guy A. Lepage. Inventive, fondamentalement diverstissante, réaliste et absurde, Un Gars Une Fille est l’équilibre parfait entre l’humour déjanté de Canal et le comique traditionnel incarné à l’époque par le succès d’Ils s’aiment avec Pierre Palmade et Michèle Laroque. A sa tête : Jean (Dujardin), symbole du beauf, caricature du trentenaire contemporain, macho, lâche, égoïste et prétentieux, devient une des icônes du paysage audiovisuel français. Toutes proportions gardées, Un Gars Une Fille a probablement provoqué en France, le même effet que le The Office de Ricky Gervais et Stephen Merchant ont eu sur la série moderne ;  satires contemporaines et réalistes, puisant dans la transposition du quotidien, parfois grinçant, parfois désarmant, souvent furieusement drôle.

Jean Dujardin en Jean est la personnification de cet humour du milieu, genre populaire qui a le mérite de s’adresser à une frange (on rit parce que l’on comprend la situation) plus qu’à une division (on rit parce que l’on partage les mêmes références). Ce rôle permettra surtout à Dujardin de poser la brique de base de l’humour des années 2000, revenu à un situationnisme ancré dans le commun et l’ordinaire. Le personnage de Jean sera également le retour du bon beauf en France, tolérable et pas méchant, genre un peu laissé en friche depuis la troupe du Splendid – de Dubosc à Bref – pour aboutir au chef-d’œuvre comique d’OSS 117, immortalisé par le désormais incontournable, et très franchement irremplaçable, Jean Dujardin.

Un Gars, Une Fille 
Créée par Guy A. Lepage
Diffusée sur France 2 (1999-2003)

n une saison, la série de Joss Whedon, le nerd le plus influent d’Hollywood et actuellement à la tête du faramineux projet des Avengers, a rassemblé une horde de fans dévouée, et aura acquis le statut de série culte. Annulée au bout d’onze épisodes faute d’audience, Firefly aura été la seule série, avec Arrested Development, à se voir attribuer le droit de conclure son histoire avec un film, Serenity, sorti en 2005. Hybride de western / science-fiction, Firefly est un monde à apprivoiser, avec ses personnages hauts en couleur, ses backgrounds scénaristiques à la fois pléthoriques et simplifiés, son univers rétro-futuriste, dystopie grouillante et paradoxalement rétrograde, où après une guerre mondiale, le monde est désormais gouverné par une organisation mondiale nommée l’Alliance.

River est l’allégorie de cette dualité intrinsèque qui règne dans Firefly, présentée comme une figure torturée par ce monde aux deux visages. River, jeune fille au brillant esprit, rat de laboratoire de l’Alliance, est ainsi comme le monde dans lequel elle vit : insensée mais calme en surface, et inexorablement tourmentée et dangereuse, surtout pour elle-même. Soumise à des expérimentations lourdes pour faire d’elle un soldat ultime, aux aptitudes physiques et psychiques sans pareil, elle sera libérée par son frère Simon, et réfugiés tous deux dans le vaisseau Serenity, et son équipage de mercenaires décents.

Elle demeure surtout révélatrice de vérité profonde au sein de cet équipage, à la manière du prince Muichkine de Dostoïevski, personnage naïf et pur plaçant chacun des protagonistes face à leur propres natures : Mal et son sens des valeurs, Jayne et son manichéisme, Sheperd et sa foi, Kaylee et sa philanthropie. Frêle et mystérieuse, River Tam est également une muse, bien précieux à protéger d’autrui, de l’Alliance, du monde extérieur. Femme-enfant, elle incarne l’innocence perdue de ce monde sans âme.

Les personnages féminins de Whedon (River, Buffy, Echo de Dollhouse) sont ces êtres de l’entre-deux, aux allures messiaques et virginales, mais à l’être corrompu, et constamment soumis à cette noirceur de l’environnement dans lequel ils évoluent. La scène de combat finale du film Serenity est ainsi d’une beauté sombre inoubliable, River s’engageant dans une lutte aux mouvements fluides et forts, inspirée par la vague des Matrix et Kill Bill, où elle affronte une armée de créatures (nommés justement les Reavers), combattant ses propres démons, repoussant  l’obscurité avec grâce et candeur ; River est probablement l’un des êtres les plus poétiques de la science-fiction.

Firefly 
Créée par Joss Whedon
Diffusée sur Fox (2002)


l y a parfois quelques moments décisifs qui, lorsqu’ils vous heurtent de plein fouet, ne peuvent être ignorés. Des images, des scènes, des dialogues qui frappent et changent probablement l’histoire de la télévision. Si la galerie de personnages peinte par Aaron Sorkin pour The West Wing (A la Maison Blanche), se veut pléthorique et inoubliable, le président Bartlet est la figure essentielle de cette Maison Blanche idéalisée. Sorkin a créé en Jed Bartlet, démocrate à l’esprit clair et à l’intelligence sans réserve, l’image d’une Amérique virtuose, censée et décente, mais aux travers certains : peu décisionnaire (C.J. Craig et son staff lui en tiendront d’ailleurs rigueur lors de son premier mandat), peu moderne, voire même rétrograde quant aux questions religieuses, et finissant même par mentir pour se protéger.

Lancée en pleine présidence de Clinton, puis en pleine administration Bush, The West Wing s’est fait écho d’une politique résolument idéologue, faisant de Bartlet une icône ennoblie de l’un, et antithétique de l’autre. Il y a ces scènes donc, qui définissent une époque, un style. Cela aurait pu être le fameux monologue de Jed Bartlet, partiellement en latin et vindicatif envers Dieu, lors du season finale de la deuxième saison ; mais celle qui restera dans les esprits sera la scène des citations bibliques, où le président prendra à partie une animatrice radio intégriste, la surclassant de ses connaissances théologiques et ses facultés de raisonnement. Révélatrice de la personnalité du président, mais aussi de l’âme de The West Wing et d’Aaron Sorkin, cette scène aura finie de convaincre les indécis de l’importance et l’unicité de cette série dans le panorama audiovisuel contemporain. Il y a cet hypnotique et fascinant sens du rythme et de la parole, marque de fabrique de Sorkin, comme on aura pu le voir par la suite dans Studio 60 on The Sunset Strip ou The Social Network. Mais surtout, il y a ces forces et ces contradictions intrinsèques de l’homme et de la fonction, révélant Jed Bartlet comme l’amalgame d’un homme de cœur, homme de foi et homme de conviction, qu’il incarne à la perfection.

The West Wing, figure de l’Amérique politique post-guerre du Golfe, est également une œuvre qui a voulu marquer par le symbole du changement. Le style tout d’abord, nivelant la série politique par le haut, avec des scénarios alambiqués et des intrigues aux détails fourmillants, mais à la ligne toujours claire. Sorkin, dont le style d’écriture très littéraire et abondant peut parfois dérouter, aura toujours refusé le compromis du plus petit dénominateur commun, Jed Bartlet en étant la plus flagrante manifestation : féru d’anecdotes et de faits, puits de connaissance, qualifié de nerd par Toby Ziegler, il n’en demeure pas moins empathique et accessible. Puis enfin, il y a l’image et la force de représentation. Martin Sheen, personnification d’une jeunesse perdue et révoltée (Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, La Ballade Sauvage de Terrence Mallick), se mue en allégorie d’une génération sans guerre –avant le 11 septembre- réaliste et ouverte sur le monde.

Le président Matt Santos, prédisant la future élection d’un président issu de minorité, succédera ensuite à Jed Bartlet, qui restera le président de fiction le plus idéalisé et le plus réaliste jamais créé.

The West Wing (A la Maison Blanche) 
Créée par Aaron Sorkin
Diffusée sur NBC (1999 – 2006)


es débuts de Walter White dans Breaking Bad – sur la chaîne AMC qui diffuse également Mad Men – ont tout eu de l’anti-héros tragique shakespearien : professeur de chimie et père de famille honorable, mais sans relief, il est diagnostiqué d’un cancer fatal, et décide alors de s’associer à un de ses anciens élèves, Jesse Pinkman (autre personnage fascinant de la série), minable dealer de drogue, pour se lancer dans le trafic de méthamphétamine, afin d’amasser rapidement assez d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille une fois qu’il aurait été terrassé par la maladie. Non seulement, Walter White parvient à mettre au point la meilleure dope du marché, mais sous le pseudonyme d’Heinsenberg, transgresse petit à petit tous les interdits et codes moraux, s’attirant les véhémences du cartel local et international, les projecteurs de la police et avec des étaux se refermant inévitablement sur lui.

          Il n’y aura pas encore eu de réels anti-héros aussi sombres à la télévision. On pense bien évidemment à Jim Profit (Profit), Vic Mackey (The Shield), Tony Soprano (The Sopranos) ou encore Dexter (Dexter) ; mais à la différence de ses illustres prédécesseurs, Walter White n’est pas fondamentalement un vilain au début de Breaking Bad, ni même tout au cours de la série. Alors que ces autres anti-héros de séries sont des vilains assumés, dévoilant au fur et à mesure des côtés humains, faisant preuve de compassion et d’empathie, Walter White suit le schéma résolument opposé. Homme décent, subissant la vie, il fera preuve de cruauté froide et dévastatrice, usant d’une intelligence amorale. White, chef de famille aimant et attentionné, incarne pourtant l’Homme dans ses plus lugubres travers : calculateur, menteur, égotiste, féroce et noir.

          Vince Gilligan, créateur de Breaking Bad, a ainsi créé avec Walter White une figure inédite à la télévision, en mettant en scène la création d’un vilain, à la manière de la mode des genèses de héros au cinéma ces dernières années. Plus anti-vilain qu’anti-héros, Walter White connaît une évolution de superhéros/supervilain de comics : homme comme les autres, il se découvre un point de rupture, s’adapte à sa nouvelle condition en gardant sa morale comme seule juge ; jusqu’à assumer son rôle ultime de vilain, non plus par force des choses, mais par adéquation pure avec sa nature propre, courbant sa morale pour convenir à des prédications profondes, exorcisant par là ses propres craintes existentialistes.

          Avec ses scènes fortes, aux libertés visuelles et scénaristiques souvent époustouflantes, Breaking Bad, ses déserts d’Albuquerque et ses petites gens sans histoire, est devenu le terreau idéal à la naissance d’un des plus terrifiants protagonistes de l’histoire de la télévision.

Breaking Bad 
Créée par Vince Gilligan
Diffusée sur AMC (2008 – 2012)